Soir 3 -
Philippe Hurel, présentation du concert Pulse #2
le samedi 11 septembre,
à 20h30...
Corinne Schneider
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Un programme de concert est comme un organisme vivant et le composer est un peu comme composer une œuvre.
Nous avons commandé une œuvre nouvelle à la compositrice coréenne Sunyeong Pak. The moment III: Rejoice, dont la création ouvre le concert, est le troisième et dernier volet de son triptyque The Moment. Je sais que Sunyeong Pak est une grande admiratrice de l’œuvre de Beat Furrer. J’ai suivi ses travaux à l’occasion de stages et nous avons beaucoup parlé tous les deux de cette influence. Cela ne s’entendra pas forcément dans sa musique présentée aujourd’hui, mais il existe une affinité profonde entre certains aspects de son travail et la musique de Beat Furrer. Quant à Adrien Trybucki, qui a également été mon étudiant et dont j’aime beaucoup la musique, il s’était intéressé il y a quelques années aux traditionnelles musicales coréennes, et plus particulièrement au sanjo, à l’occasion d’un échange franco-coréen. Il a adapté au piccolo et tambour Fragments d’opale (2016), une de ses pièces d’abord composée pour instruments traditionnels coréens. Au centre du programme : Spur (1998), l’une des œuvres phares de Beat Furrer.
Ces éléments de rencontre ne seraient qu’anecdotiques s’il n’y avait pas, au cœur même du geste compositionnel de ces trois artistes, une énergie vitale particulière qui repose sur l’écriture en boucle, sur la répétition frénétique et sur le travail des mini-variations de la matière sonore.
Le titre de ce concert Pulse #2 renvoie d’ailleurs à un cycle que l’on poursuit depuis 2006, où les pièces qui se trouvent dans chaque programme se répondent ainsi l’une l’autre avec cette énergie interne commune qui les caractérise.
L’ensemble Court-circuit fête en 2021 ses 30 ans et je profite de cette introduction pour annoncer une soirée spéciale que nous donnerons à cette occasion le 7 février 2022 aux Bouffes du Nord : il ne s’agira pas d’un véritable concert, mais plutôt d’une soirée musicale combinant sur scène, avec les musiciens, un montage particulier d’extraits de films nous permettant de nous rappeler certains projets marquants que nous avons réalisé à l’Opéra de Paris, à l’Opéra Comique et aux Bouffes du Nord. Depuis 30 ans Court-circuit accompagne les jeunes créateurs.
Il reste difficile de tirer les grandes lignes des orientations esthétiques des jeunes compositeurs durant ces trois dernières décennies. Il y a des courants, des mouvements qui se développent et d’autres qui disparaissent, tandis que certains ressurgissent. Le développement de la musique n’est pas linéaire.
Je trouve important que ces mouvements existent : les liens esthétiques qui lient ou opposent les musiciens sont essentiels car porteurs d’émulation autant que de débat. L’écueil à éviter est celui du mouvement clos qui finit par générer un système dont l’issue ne peut être que l’académisme. C’est la raison pour laquelle les débats au sein d’un même mouvements sont capitaux. D’une certaine manière, je trouve que les jeunes compositeurs actifs ces trente dernières années se sont montrés bien plus libres que les compositeurs de ma génération. Ils sont parvenus à inclure dans leur discours des matériaux et des influences que nous nous interdisions. Nous avons connu l’arrivée de l’ordinateur et avec lui le sampling ; mais personnellement, je n’étais pas assez jeune pour l’intégrer de façon aussi naturelle que la génération de jeunes compositeurs qui eux sont nés avec l’ordinateur.
Je dirais donc que les jeunes compositeurs ont cette facilité d’aller chercher, d’aller piocher et de se servir de toutes sortes de matériaux, des sources sonores lointaines et d’influences multiples.
Cela va peut-être vous paraître bizarre ou trop restrictif, mais voici ce que je pense : j’ai l’impression qu’autrefois nous cherchions à écrire une musique cohérente avec un matériau lui-même cohérent du début jusqu’à la fin de l’œuvre, tandis qu’aujourd’hui, les jeunes puisent des matériaux très hétérogènes et c’est en composant qu’il les rendent cohérents. Leur travail d’écriture et leur forme de pensée rendent ces matériaux pluriels possiblement compatibles. Nous étions élevés au biberon du structuralisme ; nous partions d’une cellule que nous développions d’une façon ou d’une autre ; nous étions tous post-beethovéniens quelque part… Lorsque nous nous servions des ordinateurs, c’était une synthèse qui était elle-même baignée de structures…
Cette manière qu’ont les jeunes compositeurs de s’emparer de tout ce qui les entoure et de les rendre compatibles m’intéresse beaucoup et me séduit parce que je ne sais pas le faire… Et je suis heureux de pouvoir me passionner par ce que je ne sais pas faire moi-même.